Peut-on dire que les vins biologiques ou biodynamiques sont meilleurs ? Dans le sens de meilleure qualité gustative ? Ou bien faut-il les cantonner à des démarches environnementales, sans lien avec le goût ? Cette question du lien entre le bio et la saveur m’a toujours turlupiné.
En toute franchise, je suis arrivé au bio à travers les fruits et légumes, il y a de cela bien longtemps. Ceux que j’achetais au marché du quartier avaient deux défauts. D’abord, ils me semblaient souvent sans saveur et sans âme. Quand les fruits, par exemple, étaient sucrés, ils étaient « bêtement » sucrés. Certes, c’est plaisant, mais ils manquaient d’autre chose. Le deuxième point est qu’ils se conservaient assez peu. En dehors du frigo, après trois ou quatre jours, tout ça commençait à pourrir.
Un impossible retour en arrière
Ces deux défauts ont été résolus lors du passage au bio. Par bio, j’entends des approvisionnements sourcés, pas le bio des exploitations gigantesques, en Espagne notamment, qui font de l’industriel. J’ai aussi retrouvé la saveur des pommes de terre, alors que je pensais qu’elles se ressemblaient toutes les unes aux autres, et la joie de les conserver de longs mois.
Pour le vin, c’est la porte d’entrée des vignerons biodynamiques qui a été déterminante. Question porte, ce fut Colmar et la route des vins d’Alsace. Rendons à César ce qui est à César, et gardons pour nous le reste. Quand on boit Zind-Humbrecht, Marcel Deiss, Beck-Hartweg ou Albert Mann, il n’est plus possible de revenir en arrière. Vous me direz que ces vins sont chers, c’est en partie vrai, mais les premiers prix, que je consomme régulièrement, tournent autour des 10 euros.
Le scientifique s’interroge. Le bio ou le biodynamique vineux est-il bon, à cause d’un effet de halo positif ? Serait-ce une manifestation du fameux biais de confirmation d’hypothèse, dont nous avons souvent parlé en cette chronique ? Pour préciser : on achète bio, c’est un peu plus cher, mieux travaillé et on crédite automatiquement le produit de meilleure qualité. Ou bien, le bio serait-il intrinsèquement meilleur, gustativement parlant ? Par le qualificatif « meilleur », on entend que le bio devrait être meilleur que le traditionnel, toutes choses étant égales par ailleurs.
Le « toutes choses égales par ailleurs » rend la discussion complexe. Il est quasi impossible de comparer deux vins identiques sur toutes choses, sauf que l’un soit bio et l’autre pas. Ce seront, de toute façon, deux vins différents, ils ne seront donc plus identiques en « toutes choses ».
Les stats à la rescousse
Cette comparaison étant exclue, les scientifiques se tournent alors vers les outils statistiques, mais il faut un grand ensemble de données. Prenons, que sais-je, mille, dix mille, voire cent mille vins. Imaginons alors qu’on regarde les notes que lui aurait attribué la critique, que pourrait-on en tirer ? On pourrait essayer de « voir », dans le grand ensemble de données, si la caractéristique biologique ou biodynamique fait ressortir ces vins. Dans ce cas, cette caractéristique aurait un effet sur la note. Dans ce cas encore, on tirerait comme conclusion que le vin biologique est meilleur. Les traitements statistiques permettent d’éliminer les autres causes, le fameux « toutes choses égales par ailleurs ».
Ni une ni deux, en fait si… Deux scientifiques français, Magali A. Delmas (prof. UCLA) et Olivier Gergaud (prof. Kedge) ont exploré ce dossier, lors d’une vaste étude publiée depuis dans Ecological Economics. L’étude en question dépote, excusez l’expression.
Il y a un os...
Les résultats sont sans appel. Les vins biologiques et biodynamiques voient, en moyenne, leur note augmenter de + 6,2 et + 11,7 points par rapport aux autres vins (le label biodynamique augmentant de + 5,6 points par rapport au biologique). On pourrait s’arrêter ici, les résultats étant suffisamment exceptionnels, mais les auteurs vont plus loin. Ils ont analysé l’influence du label « Agriculture raisonnée » et c’est là qu’est l’os. Ce label ne montre aucune ( !) amélioration des notes lorsqu’on le compare à l’agriculture traditionnelle. Pour le dire clairement : vin traditionnel ou vin raisonné, c’est chou vert et vert chou.
En toute franchise, cela me rassure quelque peu. En vérité, je n’ai jamais compris ce que signifiait ce label, qui me semblait jouer le rôle du miroir aux alouettes. Ne souhaitant pas que mes étudiants jouent le rôle des alouettes, cela me permettra de leur citer une étude sérieuse afin d’étayer ce qui n’était qu’une intuition.
Pour conclure, revenons aux auteurs qui nous interpellent, sans faux-fuyant :
« Le label autoproclamé raisonné a reçu, dans le meilleur des cas, des notes similaires à celles des vins conventionnels. Cela montre que des pratiques durables non certifiées peuvent être associées à du greenwashing. De manière plus globale, ces pratiques mettent en danger la valeur perçue par le consommateur des écolabels. »
Si ce sont les scientifiques qui le disent…